J’ai un mal fou à commencer cet article. Je ne suis même pas sûre, ni de l’écrire, ni d’avoir quelque chose à dire. Pas que je n’ai rien à dire de l’œuvre de Pierre Soulages, que j’admire depuis plus de vingt ans. Mais plutôt que mon rapport à la peinture de Soulages est « direct », sensoriel et que passer par des mots pourrait vous noyez d’impressions sans réussir à vous dire quoi que ce soit de concret. Vous voyez ?
Je défends ardemment la position du « j’aime/j’aime pas » quand on jauge de l’art (je défends tout aussi ardemment l’intellectualisation et le fait d’aimer pour ce que ça dit, transmets outre l’aspect esthétique ou même plastique mais c’est un autre sujet). En visitant la rétrospective qui lui est consacré en son musée de Rodez, j’ai pu constater, bien plus que je ne le pensais, à quel point j’étais dans du « j’aime » face à un Soulages. J’aime, ça me parle, ça me touche, ça me stimule et me donne envie d’attraper mes pinceaux et mes encres.
Et finalement, je pense que je n’ai rien d’autre à en dire.


Mais je peux aussi vous en parler de manière moins personnelle. Pierre Soulages est un peintre abstrait des 20 et 21e siècles (il a commencé sa carrière dans les années 1940 et a continué de peindre jusqu’au début des années 2020).
S’il est connu du grand public, c’est surtout par ses monochromes noirs, ses Outrenoirs. Mais commençons par le début.
Né à Rodez (d’où la présence d’un musée à son nom dans la cité ruthénoise), il fut marqué par les paysages arides aveyronnais, l’art médiéval et en particulier roman, la beauté de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques (où il réalisera des vitraux des décennies plus tard) ou encore les pierres-menhir du musée Fenaille de Rodez. Ces éléments qui peuvent sembler éparses donnent déjà le ton de l’esthétique de l’artiste.
Ils donnent aussi le ton de pourquoi ça me plaît et me parle. J’ai toujours aimé les proportions de l’architecture romane, le côté plein, direct, trapu, la pierre, les aplats, la simplicité.
Il aura rapidement du succès, notamment aux États-Unis, et rencontrera nombre de grands artistes : Sonia Delaunay, Alexander Calder, Francis Picabia… dont certains deviennent ses amis : Mark Rothko, Zao Wou-Ki, Hanz Hartung1…
Son parcours est assez tôt marqué par la période des brous de noix. Ce sont déjà des peintures abstraites où le brun se fait de plus en plus noir par superpositions. Les traits laissent apparaître parfois la lumière du blanc du papier et forment des « signes » qui pouvaient parfois faire penser à une écriture.
Là encore, on se demande bien pourquoi ça me parle 😀
« Vers 1955, le signe tend à disparaître et ces coups de brosse se juxtaposent, se multiplient ; de leur répétition, des rapports qui s’établissent alors entre ces formes presque semblables les unes aux autres, naît un rythme, une rythmique de l’espace. »
— Pierre Soulages


Sa peinture passe aussi par une période où de la peinture de couleur (bleu, rouge, ocre ou blanc) est déposée avant d’être partiellement recouverte par du noir. Par endroit, la matière noire peut être « raclée » de sorte à faire ré-apparaître la couleur en dessous. Là encore, on peut sentir un jeu qui fait ressortir l’éclat, la lumière.
Les polyptyques arrivent ensuite et les œuvres se font, de fait, beaucoup plus grandes. Soulages commence alors à ne travailler qu’avec le noir et le blanc.
« J’ai commencé à faire une série de peintures en noir sur blanc, retournant à un ascétisme cistercien. J’ai senti personnellement le besoin profond, l’exigence de ce retour. »
— Pierre Soulages
Son parcours va l’amener au fur et à mesure à ne travailler plus qu’avec le noir. Il se rapproche de ce qu’il appellera « l’outrenoir« , au-delà du noir. On peut tout à fait comprendre cette notion quand on est face à un de ses monochromes où, bien que ne contenant que de la matière noire, la lumière réfléchie est très visible, joue avec le spectateur en fonction de sa position et semble même donner l’illusion de peinture blanche.

Ne vous y trompez pas, il n’y a que du pigment noir sur cette peinture. Les zones qui semblent grises voir blanches sont des reflets recherchés par l’artiste et mis ici en valeur par la photographie.
Il s’agit, bien sûr, d’un parcours très raccourcis de près de 80 années d’activités artistiques (!). Si vous voulez creuser plus, vous trouverez pléthore de ressources (pour ma part, j’ai jeté mon dévolu à la boutique du musée sur un livre de Camille Morando)
- Christie’s avait organisé une exposition croisée entre les deux peintres en 2018 ; je vous avais fait un bref article dessus : Soulages, Hartung, destins croisés. ↩︎
Où voir des œuvres de Soulages en France ?
- Musée Soulages à Rodez (12) : musée dédié, exposition permanente – plus de 500 pièces
- Musée Fabre à Montpellier (34) : une salle dédiée permanente – collection d’une vingtaine de toiles
- Centre Pompidou à Paris (75) : une vingtaine d’œuvres
- Abbaye Sainte-Foy de Conques (12) : 104 vitraux (voir l’office de tourisme de Conques)
(Voir cette muséographie pour plus de lieux)
Mes articles sur Soulages :
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